

Extraits de
Accouchement de choses, éd. Dumerchez, 2008
الغلاف ميشيل براون couverture : Michel Braun
A propos :
Dans ce long poème à chapitres, un homme, pendant plusieurs semaines, marche, s'arrête, comme jadis les poètes arabes préislamiques, sur le bord des ruines. Il découvre, un jour, la photo d'une sœur, morte de choléra, d’après sa mère. Leurs deux voix s’entremêlent, l’une se veut limpide, l’autre, celle de la sœur, est coléreuse, fragmentée, surgit dans une fièvre intense et se rallie au ressac. Les ruines dont elle parle ne sont pas les vestiges d'un passé duquel on serait nostalgique, mais les ruines du monde actuel dont les débris arrivent de la radio ou du journal comme des éclats de verre. L’Histoire se livre aux histoires personnelles : la sœur, la mort du père, et ce mur blanc d'une vieille écurie qui lui rappelle les restes de l'enfance. Le poème est le lieu où des choses accouchent d’autres choses – Accouchement de choses comme leçon de choses.
Extraits :
Deuxième semaine.
cendre- nuage- cendre.
Un
dictionnaire de contraires
porté par les rives comme on porte un cercueil sur les épaules vers une vieille direction.
Je me pose sur une pensée fugace, regardant le chemin qui me reste à creuser jusqu’au bout de la rive. Dans ma poche la photo d’une sœur emportée par le choléra, un carré de feuille 15x15, une feuille à trois syllabes- en bas, la queue d’un paraphe s’agite, apposé par une sombre folie. J’aiguillonne une touche mobile dans mon crâne. La voix. Folie.
Folie, folie, dit ma sœur, les trois folioles mon nom.
Le hasard a finement dessiné des figures inquiétantes et des parcours épineux,
et partout l’artifice le chevauche
cendre- nuage- cendre
Les solitudes sont là, hors lieu, hors contour, hors d’âge et celui qui voit- son ciel
suspendu
à
un visage qui fait défaut
et partout ose voir au-delà de toute saillie la vaste dégueulasserie du monde.
Le monde ruine n’est que ruine et toi tu ris, qu’est- ce que tu fous ? dit ma sœur, le monde ruine n’est que ruine.
Le sens
étend ses paupières sur les lampes de vieux troglodytes et évoque un dieu de grand doute dans les carrières
où
les piliers vierges soutiennent encore un ciel de craie blanche.
Je marche encore lentement.
-VII-
Huitième semaine
Ce n’est que
maintenant que
les ombres des oliviers animent dans ma tête :
Sidi Daoud. Fut ici un soir à teinte de limon. Susurration d’insectes. Chambre solitaire sans porte, ni effigie. Linceul en satin vert enveloppe le tombeau de l’ancêtre. S’y arrondit la lune.
L’une
des surfaces
granulées
défait les vertèbres, car
pour la troisième fois, la jument enceinte, prestance abrupte, me jette sur le bord d’un puits -
(L’aveugle Wald Bozzayt un jour avait plongé et vu au fond une femme assise sur un tapis à double nœud)
fossé,
il y avait
double page : vis-à-vis de souches mortes, cailloux, entrelacs d’haleines d’herbes sèches, exercice à édifier un nom excellent contre peur abstraite et grincement de porte
qu’ouvre un vent sec dans le dos - disait ma mère,
et
qu’une grimace ouvrait entre deux ombres.
La jument comme un crin, à tout crin, tenait
un sursaut d’éclair
dans la bouche
- et le don de te faire perdre toute sorte de maîtrise.
L’été
avait jambe froide sur ma jambe.
A droite, le vent sec. Eau fine vers la gauche ramenée d’une main athlétique. Source salée et bouillonnante, pèlerinage de peaux malades. Masse de pierres arrangées à l’extrémité d’une terre légèrement gonflée, encroûtée de sel. Une autre tombe.
Ici même,
ma tante avait vu un tumulte de berceaux oscillants à hauteur d’oliviers.
De cette obscurité provient une conscience aiguë. Comme si
le corps par la levure du penser flottait avec le parfum du mort, ou les orteils
sous terre comme dans la jonchée
de choses inexpliquées.